[RP Nëmfall-Bhrionnù] Forgesève

La chaleur m'avait quitté, brièvement, du moins. J'avais trouvé tout ce dont j'avais eu besoin à la Citadelle Noire. L'acier noir des charrs n'aurait sans doute pas été mon choix pour la garde, ma maîtrise de l'instrument ne me facilitant guère la tâche...Mais j'avais été satisfait de la lame. Plus solide que l'acier et malléable comme du cuir, m'avait-on dit. Fondre et marteler le mithril en cette fine lame m'avait procuré une certaine satisfaction. Et je me découvris bien moins susceptible d'enflammer tout ce qui parvenait à ma portée lorsque je quitta la forge, le vieux marteau nain que j'avais découvert dans les ruines bien ancré dans ma « ceinture ». Je me plaisais à penser que l'activité m'avait purgé de mes flammes intérieures...Bien que je pouvais toujours sentir ce feu ronflant sous mon écorce, les craquelures s'étant faites plus prononcées suite à ce martelage incessant.

Mon instrument en lui-même était une bien vieille chose, de vilaine apparence...Bien plus ancienne que les premiers nés et pourtant dans un état tout à fait acceptable. Les Nains avaient été les plus habiles forgerons de la Tyrie, et cela se ressentait dans leur instrument. Et ils devaient avoir une poigne remarquable, compte tenue du fait que je peinais parfois à le soulever...Mais peut-être était-ce là du à mon affaiblissement qui ne s'était guère arrangé. Je pris la peine, à mon passage à l'Arche du Lion, d'envoyer mon cadeau à sa destinataire avant de me mettre en route.

J'avais entendu plusieurs rumeurs sans véritablement y porter attention...Mais c'est ces mêmes on dit qui me firent parvenir clopint-clopant à l'entrée des Grottes de l'Effroi, dans les marais de la Lumilulle...Le repaire de ce qui était sans doute la plus grande Enclave Cauchemardesque après la Tonelle du Crépuscule. Isolée de Caledon et du reste de la Cour des Cauchemar, assurant pourtant le relais entre nos troupes stationnées près du Mont Maelstrom et parvenant à elle seule à mettre à mal trois villages Rêveurs à proximités (bien qu'il fallait l'avouer, les morts-vivants leur facilitaient bien la tâche ).

Le prestige de cette baronnie isolée n'était sans doute pas volée...Et je me devais d'imaginer l'orgueil qui l'accompagnerait. J'avais annoncé mon arrivé, bien que cela m'avait parut sur le coup plutôt futile. Brisé comme je l'étais, me présenter comme un des Barons de la Cour des Supplices ne constituait sans doute qu'un joli pied de nez à mon Seigneur...

Toutefois je n'avais guère de temps à perdre...Et j'avais prévenu Saereg de mes intentions. Si elle avait fait part de mon projet au Comte, je pouvais me considérer comme...Relativement protégé.

Aussi fis-je l'effort, en arrivant à hauteur des sentinelles à l'entrée des grottes, de me redresser malgré tous les craquements et les copeaux de mon écorce qui m'échappèrent par ce simple geste. Une bien pâle figure d'autorité...

« Le Baron de Falias Thorpe vous salue et demande audience auprès de la Baronne de la Meute. »

Je diffusais continuellement ma $Haine$ à travers le Rêve, tout en dissimulant soigneusement son objet...L'on m'avait toujours dis que ma perception de ce sentiment était d'une intensité rare...Au moins pouvait-elle me servir de pièce d'identité.

Je lui emboîtais le pas, claudiquant un peu mais avec une ombre de bravade au coin des lèvres. Leur incrédulité avait été prévue après tout...De même que l'orgueil. Et voilà que je faisais encore honte à Cynapium tout en gagnant un sursis...La journée commençait bien.

Des paires d'yeux jaunes et rouges m'accueillèrent lorsque nous nous engoufrâmes dans le tunnel. Ni le soleil ni la lune ne perçaient ces parois rocheuses. Large, et d'une longueur indéfinissables, des torches parsemaient les murs et c'est leur lumière qui se reflétait dans les prunelles des fauves.

Des chiens de fougères, de chair et des wargs. Toute une ménagerie de prédateurs à quatres pattes et à la truffe redoutable. La Baronne de la Meute n'avait pas volé son nom. Je ne vis que quelques courtisans lors de notre longue traversée, mais chacun était accompagné de trois molosses. Pourtant ce n'était pas l'odeur rance d'excréments et de pisses qui parvint à mes narines comme l'on pourrait s'attendre d'un tel ramassis, mais une odeur saine, sauvage, contrastant avec l'apparente docilité de toutes ces créatures.
Je ris intérieurement en ne voyant nulle trace de déchets sur le sol. Sans doute y avait il quelque part une litière géante qui me servirait lieu de tombeau.

Depuis quand étais je devenu si défaitiste?

"La Baronnie de Vigilance a longtemps été à la recherche d'un maître-chien, finis-je par dire, l'aurais-je sus plutôt que je me saurais immédiatement présenté à vos portes !"
Un autre rire intérieur. Je "caressais mon guide dans le sens du poil", certes, mais lécher les bottes des gens n'était clairement pas mon genre...Mon admiration pour cet élevage était sincère, après tout, je n'étais parvenu qu'à installer dix malheureux cabots à la Pointe de Joy...Ainsi que deux chats vadrouillant à l'extérieur des grottes de l'Effroi. Dans la foulée j'en profitais pour observer les installations...Il était certain que Bhrionnu était passée par la, mais quelle autre forme avait donc pris sa présence, mis à part les ornements de la baronne?

J'avais préparé les matériaux moi-même, accompagné des artisans de la Baronne. Elle m'avait donné libre cours à mes envies. Par curiosité, toujours? Je l'ignorais, et je m'en moquais un peu. Les forgerons et les assistants suivaient mes consignes, et c'est là tout ce qui importait. Leur maigre révélation sur les méthodes de Bhrionnù avaient suffit. Lainne avait été bien plus précise qu'elle ne l'aurait cru...

Fusionner le fer et le carbone, nourrir la fournaise de magnétites de mithril...Deux jours sans sommeil, deux jours enflammées. Et durant tout ce temps chercher...Chercher l'élément manquant. La fatigue abrutissante...Le sommeil enfin, et le Cauchemar accueillant.

Ka-clang, ka-clang...Elle était là. J'avais brisé le corps de Neithan mais elle...L'avais-je touché? L'avais-je seulement regardé? Elle et son masque...Je l'avais trouvé Irritante, chaotique, indigne de confiance. Elle avait posé tant de soucis, trompé tant de personnes...Son Cauchemar était pourtant régulier. Reposant. La forge était sa place. Une certitude apaisante. Avait-on réellement besoin d'autre chose?

Briser l'acier bleuté obtenu, trier, rassembler ce qui est utilisable, en faire une galette, les fondre ensemble et frapper. Plier, frapper, replier, frapper, replier. Vingt fois. Le mithril devait former le cœur de la lame, l'acier la recouvrir.
Ils m'avaient fourni leur prisonniers, s'attendant à ce que je les brise, les "forge" dans dans la lame...
J'en acceptais un. Un seul. Mais pas pour le forger. J'avais atteint ma limite, tout simplement. Ils ne comprirent pas lorsqu'ils le virent devenir flasque sous ma main et s'écrouler avant que je ne lui fracasse le crâne. Ce n'était pas la méthode de l'Artiste. Je rétorquais. Leur jeux l'avaient déjà brisé. Inutilisable.
Mais qu'en savaient-ils?

« Elle a tenté de le "forger" dans le bon état d'esprit... »

Ils connaissaient la méthode, mais je n'aspirais guère à la simple copie. Ce n'était d'ailleurs pas possible. Je finis par le comprendre lorsqu'elle commença à me forger. C'était, comme Lainne me l'avait indiqué sans en saisir pleinement le sens, un état d'esprit.
Bhrionnù n'était pas folle. Son obsession pour son art n'était ni malsaine, ni pathétique. Elle s'était frayé son chemin dans le monde de la seule manière qu'elle connaissait. Un coup de marteau à la fois.

«Transcender son existence, être -utile-, même dans la mort. » Mon armure m'abandonna au centième coup, les craquelures devinrent fissures béantes...Mais la souffrance était un prix bien faible.

« Il faut bien de quoi contenter les faibles qui n'ont rien pu accomplir ici bas. »

Tant de mépris alors que nous vivons si peu, enfermé que nous sommes dans cet objectif défiant toute notion de libre-arbitre. Si peu d'entre nous atteindront l'âge actuel des premiers-nés. Moi-même, mon existence suspendu à un fil alors que je n'avais même pas un an. Un fil manipulé par mon seigneur et maître...

J'avais détruis tant de vie, pour la cause, ou bien pour mon propre appétit...Pouvais-je en sauver à présent ? Les guider à mener une guerre plus juste, à transcender leur courte existence ?
Pour cela, il me fallait encore me sauver moi-même.
Vingtième pliage, la forme de la lame chauffée à blanc est précise, la pointe...

Forger l'apprenti dans le bon état d'esprit.
Baptiser l'arme dans la sève du créateur.

Avais-je dévoré assez de mes frères ? Avais-je engrangé assez d'émotion pour ne pas me perdre ?
Ces questions, je ne me les posèrent que lorsque je plongeais la lame en plein torse avec un cri d'extase. Ma sève tempéra la lame intruse, une chaleur nulle commune à ce que j'avais dégagé auparavant s'empara, brièvement de moi. Remplacée bien vite par ce froid intense. Mortel. Mais je n'avais pas peur. Ma haine envers le Comte, envers sa Cour, s'enflamma littéralement en moi...Et je pus presque sentir, de manière totalement incohérente, cette haine et toutes mes émotions s'atténuer, absorbée au centre de mon torse. La peur ne s'empara de moi à aucun moment. Quel qu'en fut le résultat...N'allais-je pas vivre sous une forme ou une autre ?

                                                                   

Forger l'arme et me plier avait pris une semaine. Une autre passa,  je me tenais la lame étendue sur mes genoux. J'avais aiguisé les deux fils de l'arme avec un soin tout particulier, passé sept jours à polir la lame, à en faire ressortir ces formes vagues caractéristiques d'un pliage incessant...Et à tenter de récupérer ce que j'avais perdu. Les flammes qui me dévoraient de l'intérieur s'étaient éteintes, les craquelures causées par la nécrosève s'étaient refermées. J'étais redevenu entier...Tout en perdant une grande part de moi-même.

J'étais vidé. Nulle émotion ne demeurait en moi. Seule la $FAIM$ demeurait, mais je parvenais à la mettre en second plan pour terminer ma lame. La partie la plus primaire de moi-même était peut-être consciente qu'elle et moi ne faisions plus qu'un à présent. Je ne parvenais à rassembler nulle haine non plus...Mais cela ne m’inquiétait pas outre mesure. Pouvais-je ne serait-ce que -ressentir- de l'inquiétude ?

J'étais toujours l'hôte de la Baronne...